J’ai participé début novembre à la seconde édition du Festival Albertine, organisé par la librairie du même nom, située dans les locaux des services culturels de l’Ambassade de France à New-York. Cette année, le thème était le féminisme.
Le festival a réuni à l’occasion de plusieurs tables rondes des féministes françaises et américaines pour dialoguer, débattre, se confronter et tracer ensemble des perspectives communes. Il a été ouvert par Gloria Steinem et Christine Taubira.
J’ai pu rencontrer à l’occasion de ce festival des femmes incroyables de force et de détermination. Gloria Steinem, bien sûr, qui a inspiré des générations de militantes féministes, mais également Roxane Gay, Carol Jenkins, une des fondatrices de SheSource.org, sur le modèle duquel le site des Expertes ont été créées, Cecil Richards, présidente du Planning Familial américain ou les Guerrilla Girls qui se battent pour l’égalité dans la culture avec beaucoup d’humour et de subversion.
Ce festival a aussi été l’occasion de rencontrer des féministes françaises que je connaissais seulement à travers leurs écrits : Mona Chollet, Anne F. Garréta ou encore Marie Darrieussecq.
Les échanges ont été d’une telle richesse qu’il serait impossible de les résumer ici. Vous pouvez d’ailleurs voir et revoir les échanges ici. Voici, en quelques mots, ce que je retiens de ces quelques jours.
Première remarque. Le langage et la posture des féministes des deux côtés de l’Atlantique sont très différents. Alors qu’en France, il ne me viendrait spontanément pas à l’idée d’utiliser le mot « patriarcat » sur un plateau télé sans prendre un (long) temps d’explication, ce mot est présent dans presque toutes les phrases des américaines. Si nous sommes d’accord sur le fond, le discours est, dans la forme, beaucoup plus radical que le nôtre. C’est assez bousculant. J’ai pris conscience que j’avais censuré, atténué mon discours pour faire oeuvre de pédagogie. Au final, j’ai peut-être perdu en capacité de bousculer, percuter, déranger mes interlocuteurs et interlocutrices.
Deuxième remarque. Les questions de racisme sont omniprésentes dans les discours, pensées, prises de parole des Américaines. On ne peut penser le monde sans penser au racisme. J’ai senti le décalage avec la France. Alors que chez nous le racisme est aussi structurel et présent que là-bas, nous l’ignorons. Réfugié.e.s derrière notre idéal d’universel (auquel je suis attachée), nous refusons de penser à quel point le racisme atteint chaque particule de notre société et nous empêche d’avancer. Nous avons même vu il y a quelques semaines un « journaliste » attaquer un de ces chroniqueurs parce qu’il parlait du racisme. « Vous n’allez pas toujours nous parler de ça » a déclaré l’animateur très en colère. Il ne tiendrait pas 2 minutes aux Etats-Unis.
Troisième remarque. J’ai été touchée par le décalage entre l’élection de Trump, qui a sonné les féministes comme tout une partie de la « gauche » au Etats-Unis et le mouvement pour l’égalité qui a pris en 2017 une ampleur inédite. Après la Women’s March, les Etats-Unis ont connu un grand débat sociétal autour de la série The Handmaid’ Tale (que je vous recommande), qui a manifestement marqué les esprits puisque les militantes en parle comme d’un temps très fort de l’année. Enfin, avec le #MeToo, les Etats-Unis sont en train de lever un peu plus la chape de plomb qui pèse sur les violences sexuelles. J’ai à la fois été terrifiée de ce que racontaient les féministes sur les reculs auxquels elles font face (notamment sur les droits sexuels et reproductifs) et en même temps enthousiasmée par leur capacité de résistance, leur imagination et leur force.
Nous avons, à l’issue de ce festival, échangé sur l’idée de créer un espace d’échange de même type en France. Pour faire se croiser les artistes, écrivaines, intellectuelles, journalistes et les activistes féministes. Ce lieu d’échange, de débat et de confrontation manque. A nous de le construire !