Musique : « où sont les femmes ? »

Au début du XXème siècle, on recense une dizaine de compositrices actives. Leur nom ne vous dira pas grand-chose, encore moins leur œuvre. Quant à celles que la postérité a retenu, on peut les compter sur les doigts de la main. Alma Mahler, Germaine Taillefer, Nadia et Lili Boulanger…

En ce qui concerne le début du XXème siècle, rien d’étonnant à cela : à cette époque, les femmes n’ont pas le droit d’exercer une profession sans l’accord préalable de leur mari. Elles n’ont d’ailleurs ni le droit d’aller au lycée ni à l’université. C’est le Code Civil, promulgué par Napoléon en 1804, qui le dit. Rappelons que les lois concernant le statut de la femme qui en sont issues ont été abrogées pour une partie en 1965, puis en 1975 !

Mais un siècle plus tard, le constat est similaire… Les discriminations contre les femmes dans la musique font légion et commencent seulement à être évoquées dans les sphères publiques. C’est une regrettable parenthèse de l’histoire culturelle qui ne trouve pas commune mesure dans les autres formes d’arts. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur la saison 2015-2016, l’étude lancée par la SACD, en collaboration avec le Laboratoire de l’égalité, le mouvement H/F et le Deuxième Regard, intitulée très justement « Où sont les femmes ? », dénombre 16 compositrices sur 1394 compositeurs.trices, soit 1%. Il n’y a que 23 femmes sur 572 chef.fe.s d’orchestre, soit 4% ; 12 femmes pour 259 librettistes (auteurs.trices de livrets de musique), soit 5% ; 69 femmes sur 331 solistes-instrumentistes, soit 21%.

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Pour expliquer ces chiffres, d’aucuns peuvent argumenter que les productions des compositrices n’arrivent simplement pas à la cheville de celles de leurs homologues masculins, d’autres diront que les femmes n’ont pas la condition physique nécessaire pour occuper le poste de cheffe d’orchestre et certains assurent qu’embrasser une carrière artistique n’est pas compatible avec la vie de famille

Certes, des progrès ont été constatés durant la dernière décennie. Par exemple, en 2013, les BBC Proms au Royaume-Uni ont pour la première fois célébré leur soirée de clôture sous la baguette d’une femme. En France, la même année, on peut citer Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes : « Rien ne justifie que l’égalité professionnelle s’arrête au seuil des théâtres ou des salles de musique ». Malgré cela, quand on sait que les femmes ne représentent que 10% du monde de la culture, on peut se demander s’il existe une réelle différence entre la situation vécue par les femmes musiciennes au début du XXème siècle et celle que vivent les femmes d’aujourd’hui.

Prenons l’exemple de la compositrice Poldowski, aujourd’hui oubliée mais qui a pourtant été reconnue et acclamée de son vivant. Au même Proms Festival mentionné plus haut, et dans nombre d’articles du Musical Times (appréciant ses mises en musique des poèmes de Verlaine comme une « admirable incarnation musicale »), Poldowski fait l’unanimité auprès de ses pairs. Pourtant, les convenances de l’époque l’empêchent probablement de publier ses œuvres sous son vrai nom, Irène Régine Wienawski. Elle utilisera les patronymes de son époux et de son père. Paul + Wienawski = Poldowski.

Sa naissance le 16 mai 1879 à Bruxelles, d’un père polonais et d’une mère anglaise, la rend précocement européenne. Très tôt, elle est remarquée par la qualité de ses compositions. Son mariage avec le lord anglais Dean Paul ne l’empêche pas de jouer régulièrement ses créations en public. Autodidacte, elle a su s’affranchir des contraintes de l’enseignement musical de l’époque tout en suivant, selon ses propres termes, « avec sensibilité le penchant naturel de son sexe, plutôt que de se laisser conduire par le désir de rivaliser avec les facultés masculines, qui rend si souvent stérile l’art féminin ».

L’Ensemble 1904, un jeune orchestre de musique de chambre, a décidé de remettre l’œuvre de cette compositrice oubliée au goût du jour en honorant ses dernières paroles : « s’il vous plaît, prenez soin de ma musique ». L’Ensemble 1904 ne pouvait pas trouver meilleure occasion pour respecter ce souhait. Il ré-imagine un monde du passé pour réinventer un futur meilleur, où les femmes artistes occuperaient la place qu’elles méritent, Poldowski parmi elles.

Pour plus d’informations : www.ensemble1904.com et https://www.culture-time.com/fr/projet/poldowski-reimagined

Un article écrit par Pauline Chabbert, David Jackson et Audrey Schmitt