Genre, précarité et hébergement social : accompagnement du Samusocial de Paris

La précarité et ses conséquences en chaîne en matière d’accès au logement, à la santé, d’exposition aux violences et plus généralement d’accès aux droits n’ont pas toujours les mêmes conséquences sur les personnes, notamment en raison de leur genre[1]. C’est face à ce constat que le Samusocial de Paris a fait appel au groupe Egaé pour concevoir et animer une journée de formation en février 2020, sur l’intégration des problématiques de genre dans le quotidien d’un centre d’hébergement d’urgence. 

La journée a commencé par une sensibilisation aux enjeux de genre et de précarité. Il s’agissait d’identifier les problématiques spécifiques rencontrées par les femmes précaires à l’aide d’études et de chiffres-clés.

L’après-midi a été consacrée à des échanges sur les pratiques professionnelles dans les centres, autour des questions suivantes : 

  • Quelles problématiques existent dans les centres d’hébergement en matière de genre ? 
  • Quels sont les leviers d’action sur la pratique professionnelle pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes ? 
  • Quels sont les risques et les bonnes pratiques permettant de les éviter ?

Genre et précarité

Bien qu’elle puisse toucher aussi bien les hommes que les femmes, la précarité prend des formes différentes en fonction du genre. Aujourd’hui, en France, les femmes sont particulièrement impactées[2]

  • 70% des « travailleurs pauvres » sont des femmes
  • 82% des personnes travaillant à temps partiel sont des femmes
  • Les femmes touchent une pension de droit direct inférieure de moitié à celle des hommes (879 euros contre 1657 euros mensuels)

La monoparentalité est l’un des facteurs déterminants de la précarité des femmes. 33% des foyers monoparentaux ont un revenu inférieur au sein de pauvreté. 

Les femmes sont ainsi plus nombreuses que les hommes à devoir renoncer aux soins pour des raisons financières. Elles sont pourtant davantage exposées aux troubles musculo-squelettiques (58% femmes) et aux risques psycho-sociaux au travail (28% contre 19% pour les hommes). 

Depuis plusieurs années, les demandes d’hébergement d’urgence de femmes augmentent. Elles constituent aujourd’hui 40% des personnes hébergées. 

Surexposition aux violences sexistes et sexuelles

La précarité est par ailleurs pour les femmes un facteur aggravant d’exposition aux violences sexistes et sexuelles. 

Parmi les femmes hébergées en centres d’hébergement d’urgence, 93% déclarent avoir été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie. Parmi elles, 94% déclarent avoir subi des violences avant leur arrivée au CHU et 17% depuis leur hébergement au CHU. Les faits ont pu être commis à l’extérieur ou au sein du CHU, essentiellement au sein du couple et de la part d’autres hommes hébergés. 

La détection des violences permet un meilleur accompagnement des personnes hébergées, or dans beaucoup de cas, les procédures existantes ne permettent pas une détection efficace : 

  • 86% des femmes hébergées déclarent que les travailleur.se.s sociales ne leur ont jamais demandé si elles avaient subi des violences. 
  • 75% des professionnel.le.s de centres d’hébergement n’a bénéficié d’aucune formation sur la question des violences faites aux femmes. 

Cette situation fait croître un besoin de non-mixité chez les femmes hébergées :

39% se disent opposées à la mixité dans les centres, car celle-ci peut être source d’insécurité, et 84% disent souhaiter que des espaces non-mixtes soient mis en place pour les femmes. 

Hébergement social et égalité femmes-hommes

La prise en compte du genre dans le quotidien d’un centre d’hébergement d’urgence signifie de prêter attention : 

  • A la gestion et la répartition de l’espace
  • A la prévention des violences
  • A la communication et aux stéréotypes de genre dans les activités proposées par exemple
  • A l’organisation des activités 
  • Au risque de discriminations
  • A l’accès aux services 
  • A la parentalité et au partage des tâches 
  • Aux relations avec les résidents 

Les enjeux liés au genre concernent potentiellement tous les aspects de la pratique professionnelle en centre d’hébergement. 

Les outils légaux 

Des outils légaux existent pour intégrer l’égalité femmes-hommes dans le fonctionnement des centres d’hébergement : 

  • Lacharte des droits et libertés des personnes accueillies précise notamment le droit à un accompagnement adapté aux besoins de la personne, le respect de son intégrité et la protection de sa sécurité.  
  • Le contrat de séjourpeut mentionner des règles communes. 
  • Lerèglement de fonctionnement de chaque centre peut préciser la procédure de signalement des problèmes, et les règles de vie commune. Il est par exemple possible d’y indiquer que la médiation conjugale en cas de violences n’est pas possible. 
  • Leprojet personnalisépour chaque résident.e peut mentionner des éléments du parcours des personnes, comme l’exposition à des violences, afin d’adapter l’accompagnement. 

La difficulté de la profession de travailleur.se sociale, la surcharge de travail à laquelle ils et elles sont exposées ainsi que le manque de moyens pour faire face à la demande peut donner le sentiment que la prise en compte du genre viendra s’ajouter comme un fardeau supplémentaire dans un quotidien professionnel déjà très exigeant. 

L’objectif de la formation proposée par le groupe Egaé était donc de faciliter la pratique des professionnel.le.s en améliorant l’efficacité de la prise en charge des personnes hébergées et de donner des outils pour un hébergement sécurisant pour toutes et tous

L’approche participative de la formation, basée sur les réalités professionnelles des participant.e.s a permis de lancer une dynamique dans les centres. Les participant.e.s se sont saisi.e.s des outils proposés dans la formation pour les adopter dans leur pratique professionnelle. 

Sources 

  • Rapport « Femmes et précarité », CESE, 2013
  • Étude « Un abri pour toutes », Fondation des Femmes, 2019
  • Actes matinée d’études MIPES « Le genre dans la prise en charge des personnes en situation de précarité » 2012

[1]Étude « Un abri pour toutes », Fondation des Femmes, 2019

[2]Source : Rapport « Femmes et précarité », CESE, 2013. 

PARTAGER
Article précédentLes violences et la santé sexuelle au coeur de la réponse internationale au COVID 19
Prochain article3 questions à : Isabelle Cretegny
Diplômée du master Etudes Culturelles de Sciences Po Toulouse, Julie Papon-Bagnès réalise son stage de fin d'études dans un laboratoire de recherche en science politique (le LaSSP), où elle participe à la réalisation d'une enquête sur les rapports ordinaires au politique. Elle entre ensuite à l'EHESS pour un second master en sociologie générale, où elle suit également des cours en études de genre. Entre mai 2018 et août 2019, elle travaille à la Fédération nationale des CIDFF (centres d'information sur les droits des femmes et des familles) où elle participe notamment à la rédaction d'un rapport analytique sur la situation des femmes informées par le réseau des CIDFF. Elle rejoint le groupe Egaé en septembre 2019 en tant que formatrice-consultante, spécialisée dans l'égalité femmes-hommes et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.