Les femmes cadres victimes de violences conjugales : une invisibilité supplémentaire ?

En 2018, le Centre accueil consultation information sexualité[1] initie une enquête sur les violences conjugales en Gironde. Les résultats témoignent de violences sexistes et sexuelles encore très importantes et peu prises en charge.

  • 53% des femmes déclarent subir ou avoir subi des violences au sein de leur couple.
  • 85% d’entre elles déclarent en avoir parlé à quelqu’un. (Proches, police, associations, corps médical etc.)

Si les violences subies par les femmes en situation de précarité peuvent être détectées par les institutions ou associations vers lesquelles elles se tournent (SIAO, CHU), les femmes disposant d’une assise financière et/ou sociale plus confortable échappent aux radars des institutions.

En effet, les femmes cadres et les conjointes de notables, ainsi que les étudiantes ont plus tendance que les autres à tenter de ““s’en sortir seules” dans un silence lourd de conséquences”.

Femmes cadres : quelles particularités ?

Indépendance

Les femmes cadres ou conjointes de notables disposent de ressources financières et/ou sociales qui leur assurent une indépendance importante. Elles échappent ainsi au regard des centres d’hébergement ou associations dédiées lorsqu’elles quittent le domicile conjugal : elles peuvent se loger ou être accueillies dans leur entourage proche.

Invisibilité

Parmis ces femmes, certaines subissent des violences économiques. Celles-ci peuvent prendre plusieurs formes : interdiction de travailler, restriction sur certains types de produits (nourriture, produits d’hygiène etc.), saisie du salaire, contrôle des comptes bancaires et des dépenses. Elles sont d’autant moins visibles chez les femmes cadres, que le couple affiche une aisance financière à l’extérieur.

Réputation

Lorsque le conjoint violent est un notable, ou une personne bénéficiant d’un réseau social et institutionnel important, il jouit d’une image favorable. La dénonciation des violences devient dans ce cas, aussi, un enjeu de réputation et d’image. C’est un obstacle supplémentaire à la parole de ces femmes.

Quelles conséquences ?

La première conséquence de cette spécificité des femmes cadres, c’est l’absence d’aide ou de prise en charge. Alors que les violences au sein du couple ont de multiples conséquences physiques, psychiques, économiques et sociales, les femmes cadres sont rarement détectées et prises en charge par des professionnel.le.s spécialisé.e.s. Elles sont donc plus exposées aux violences de leur conjoint ou ex-conjoint que les femmes accompagnées par des professionnel.le.s.

La seconde conséquence c’est l’impunité des agresseurs. 2% seulement de cette catégorie de femmes porte plainte pour les agressions qu’elles ont subies. Par ailleurs, ces hommes jouissent d’une image favorable auprès de l’entourage des victimes et des institutions. Ils ne sont donc que très rarement inquiétés pour leurs actes.

Cette étude nous permet de constater que certaines caractéristiques telles que le niveau de revenus, peuvent aggraver les violences en les invisibilisant par exemple. Il semblerait que les femmes avec peu ou pas de revenus soient plus visible par les associations et institutions, cependant leur statut social peut également être un facteur aggravant des risques de violences car il peut créer des situations de dépendances financières vis-à-vis d’un agresseur.

Si les femmes parlent (85%), elles ont toujours des difficultés à être réellement entendues (minimisation, banalisation des violences, protection des agresseurs …). Il est donc primordial que les professionnel.le.s soient formé.e.s à détecter et prendre en charge toutes les personnes victimes de violences, afin d’accompagner une diversité de personnes et de profils.


[1] Etude financée par la mairie de Bordeaux à l’initiative de l’association Centre accueil consultation information sexualité (CACIS).

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Diplômée d'un master Politique, Discrimination et Genre de l'IEP de Toulouse, Lauriane Porier s'est spécialisée sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au cours de diverses expériences. Elle réalise un premier stage pour la Mairie de Paris, durant lequel elle participe à la rédaction du guide Genre et Espace Public. Son stage de fin d'étude à la Mission Interministérielle pour la Protection des Femmes contre les Violences lui permet de participer au déploiement des politiques publiques nationales contre les violences sexistes et sexuelles. En 2018, elle rejoint la Fondation des Femmes. Après cette expérience, elle se tourne vers la formation et le conseil et intègre le groupe EGAE.