Nouveau projet de directive européenne sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes

Attention : Cet article mentionne des actes de violences sexuelles graves. Des exemples précis sont cités. Des faits de crimes sont mentionnés. Protégez-vous pendant la lecture, n’hésitez pas à prendre des pauses ou à arrêter de lire cet article si besoin.

En mars 2022, la Commission européenne a proposé une Directive européenne sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Il est expliqué que cette proposition vise à lutter “efficacement” contre les violences sexistes et sexuelles et la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Une série de mesures sont proposées, notamment : “la criminalisation des infractions concernées et les sanctions applicables à ces infractions; la protection des victimes et l’accès à la justice; le soutien aux victimes; la prévention; la coordination et la coopération”.

📌 Qu’est-ce qu’une Directive européenne ?

Une Directive européenne est un acte législatif européen. Cet acte doit être adopté par le Parlement Européen, composé de député·es élu·es représentant le peuple européen, et le Conseil de l’Union Européenne, composé des ministres des gouvernements nationaux de chaque État membre, réparti·es en domaines d’action. 

Une Directive impose aux États membres un objectif commun et un délai pour atteindre cet objectif. Les États membres doivent ensuite transposer cette Directive dans leur droit national. Cela implique souvent pour les États membres de rédiger ou de modifier des lois au niveau national. 

Par exemple, en matière de violences sexistes et sexuelles, une Directive peut poser un grand objectif, et les Etats européens doivent ensuite adopter des lois internes qui permettront d’atteindre cet objectif. 

Une Directive n’est donc pas directement applicable en tant que telle : elle doit toujours être transposée à l’échelle nationale. 

📌 Que propose la Commission Européenne avec cette directive ?

D’après le Sénat, “annoncée depuis 2 ans, la directive se réfère explicitement à la convention du Conseil de l’Europe de 2014 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dite « convention d’Istanbul ». Il s’agit en effet d’intégrer en droit européen les apports de la convention d’Istanbul dont la ratification par l’Union européenne est aujourd’hui bloquée. La directive complète cette ambition d’un axe nouveau : la cyberviolence fondée sur le genre.” 

Ce texte prévoit, entre autres, d’harmoniser, dans l’ensemble de l’Union Européenne, les définitions légales de certaines violences : le viol, les mutilations génitales féminines, le cyberharcèlement, le partage non consenti d’images intimes ou encore le mariage forcé. 

Si cette directive est adoptée, chaque Etat membre devra donc faire évoluer sa loi interne afin d’intégrer ces nouvelles définitions légales. 

Un des points de débat et de contentions se trouve dans la proposition d’élargir la définition juridique du viol. Le Sénat explique que la directive propose ainsi de définir “le viol sur la base du défaut de consentement (sans qu’il y ait nécessairement recours à la force ou aux menaces, comme c’est le cas dans certains États membres)”. 

📌 Pourquoi cette proposition d’élargir la définition du viol fait débat ?

Si cette Directive était adoptée, un viol pourrait donc être qualifié comme une pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital commis sans le consentement de la personne ciblée. Cette nouvelle définition proposée représente donc un changement de paradigme important pour plusieurs États membres, dont la France. 

En effet, actuellement, en France, le viol est caractérisé comme “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par violence, contrainte, menace ou surprise”, selon l’article 222-23 du Code pénal

En l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise, une personne est donc considérée comme étant consentante, par défaut, au niveau juridique. Au pénal, en cas de plainte, il faut donc prouver que l’acte en question a été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise afin que la caractéristaion de viol soit retenue.

En d’autres termes, en droit français, actuellement un viol ne peut être retenu au niveau pénal que si l’auteur a utilisé de la violence, une contrainte physique ou morale, une menace physique ou morale ou un élément de surprise envers la victime. A contrario, le fait d’outrepasser un refus mais sans user de violence, contrainte, menace ou surprise (par exemple, en commettant un rapport sexuel alors que la personne a dit “non”, en profitant de l’état de sidération ou de choc d’une victime…) n’est, à ce jour,  pas considéré comme un viol en France. 

Cette directive pourrait changer la donne en inversant le paradigme : pour qualifier un viol, il ne s’agirait plus d’apporter la preuve formelle d’une violence, d’une contrainte, d’une menace ou de surprise, mais d’apporter la preuve qu’il n’y avait pas eu de consentement. 

Selon Amnesty International, “seuls 15 pays européens sur les 31 soumis à l’analyse d’Amnesty International ont aujourd’hui des lois qui définissent le viol sur la base de l’absence de consentement. Les autres, en revanche, caractérisent le viol par d’autres éléments, comme le recours à la violence ou la menace de violence”.

La directive européenne viendrait donc changer et élargir, de manière conséquente, la définition juridique du viol en France (comme dans d’autres États membres). 

Cette partie de la proposition fait débat, et certains États membres s’y opposent. 

📌 Où en sommes-nous à ce jour ?

La Directive européenne, initialement proposée par la Commission européenne, a été adoptée par le Parlement Européen. Afin d’être validée, elle devait également être adoptée par le Conseil de l’Union Européenne. Plusieurs États membres, dont la France, ont décidé de retirer un point majeur du texte : celle prévoyant une définition commune du viol. 

Le 09 juin 2023, le Conseil de l’Union Européenne a donc arrêté sa position sur cette proposition. Autrement dit, il a fixé son orientation générale sur cette directive, en enlevant la définition du viol qui avait été initialement proposé. 

Le Parlement européen doit maintenant lui aussi arrêter sa position. Comme indiqué par le Conseil de l’Union européenne, “sur la base de l’orientation générale dégagée ce jour, le Conseil pourra entamer des négociations avec le Parlement européen dès que ce dernier aura arrêté sa propre position”. 

L’affaire est donc à suivre : nous saurons dans les prochaines semaines si le Parlement et le Conseil de l’Union Européenne trouvent un accord concernant ce texte, et s’il est adopté avec ou sans cette nouvelle définition du viol. 

🚨 Si vous êtes ou avez été la cible de violences sexistes et sexuelles, voici quelques ressources et contacts d’associations spécialisées : 

  • Le 39 19 : plateforme d’écoute nationale, gratuite, anonyme, ouverte 24h/24 et 7j/7. 
  • Le CFCV :  0 800 05 95 95 : ligne d’écoute, gratuite, anonyme et confidentielle, ouverte du lundi au vendredi, de 10h à 19h.
  • Le tchat « Comment on s’aime » d’En Avant Toutes : des professionnel·le·s à l’écoute et bienveillant·e·s, disponibles du lundi au samedi, de 10h à 21h.

💡Pour aller plus loin :

La proposition de Directive européenne qui a été traduite en français : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN-FR/TXT/?from=EN&uri=CELEX%3A52022PC0105

→ Vous souhaitez former vos équipes sur la prévention des violences sexistes et sexuelles ? Contactez le groupe Egaé en envoyant un mail à contact@groupe-egae.fr, nous pouvons vous accompagner !