Le masculin l’emporte-t-il sur le féminin ?

Depuis quelques mois maintenant, j’anime à Metz des formations sur le recrutement non discriminatoire. Lors de ces formations, nous prenons du temps pour parler de la rédaction des offres d’emploi. Faut-il écrire « Nom de l’emploi (H/F) » (qui est le minimum légalement parlant), ou bien est-il préférable d’utiliser les deux genres (par exemple : opérateur.trice) ? Cette question fait invariablement débat parmi les stagiaires. Leurs arguments contre ce qui est parfois appelé « féminisation de la langue » sont multiples.

Argument n° 1 : « mieux vaut le « neutre » qu’un néologisme »

Dans la langue française, le « neutre » n’existe pas. Il n’y a que deux genre : le féminin et le masculin. Certains mots sont indifféremment féminins et masculins (« architecte »). Pour d’autres, on utilise un radical auquel on greffe une terminaison masculine ou féminine : par exemple, « traduc » + _teur ou _trice. Par ailleurs, l’argument du « néologisme » ne tient pas : un certain nombre de mots ont existé par le passé, avant d’être oubliés (voire supprimés, comme on va le voir plus bas). Le mot « autrice » était ainsi utilisé sans problème au XVIe siècle, y compris par les premiers académiciens ! Grammaticalement parlant, il s’agit du pendant du mot « acteur », qu’on utilise sans problème au féminin.

D’importantes réformes de la langue française ont eu lieu aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Alors que les femmes avaient déjà progressivement disparu des sphères d’exercice du pouvoir (loi salique, primogéniture masculine), ces réformes les font également disparaitre de la langue, à commencer par les noms de métiers et de fonctions prestigieuses (artificière, jugesse, autrice…).

Argument n° 2 : « le masculin l’emporte sur le féminin »

La « règle de proximité » régissait les accords des adjectifs et participes passés jusqu’aux XVIII/XIXe siècles. On écrivait par exemple « avec un goût et une noblesse parfaites » ou bien « avec une noblesse et un goût parfaits » (selon Bescherelle, il s’agissait de « ne pas fâcher l’oreille »).

Le changement de règle intervient pour une raison de « noblesse »… du masculin. En 1675, le père Bouhours expliquait que, « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte ». En 1767, Nicolas Beauzée, un autre grammairien, écrivait : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » Les inégalités de notre langue font donc bien écho aux inégalités entre les femmes et les hommes.

Argument n° 3 : « c’est plus difficile à lire », « c’est plus long »…

… ou encore « c’est moche » ! Il existe des mots plus courts au féminin qu’au masculin : compagne (compagnon) ou cane (canard) par exemple. La féminisation en .e ou -e, qui peut apparaitre contraignante au premier abord, peut être remplacée par l’utilisation de mots épicènes (une personne, le public) ou l’utilisation conjointe du féminin et du masculin (les femmes et les hommes, toutes et tous). Par ailleurs, ne s’agit-il pas finalement que d’une question d’habitude ? Le Haut conseil à l’égalité a fait paraitre un « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe », qui contient un certain nombre de conseils pour visibiliser les femmes, à l’écrit comme à l’oral.

Par ailleurs, visibiliser le féminin dans la langue, c’est visibiliser les femmes. Une enquête de Markus Brauer et Michaël Landry montre bien cette relation. Dans cette enquête, il était demandé à des participant.e.s de nommer « un artiste, un héros, un candidat au poste de premier ministre ou un professionnel ». L’emploi du masculin incite les participant.e.s à nommer plus d’hommes que lorsqu’une formulation épicène était utilisée : en moyenne, lorsqu’un terme masculin était employé, 23 % des nominations étaient féminines contre 43 % lorsqu’un terme épicène était utilisé.

 

Pour en savoir plus : 

Eliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, édition iXe, 2014